Notre humanité. D’Aristote aux neurosciences 

        (Fayard, 2010, coll.Histoire de la pensée, 385p.)

par Francis Wolff d'Aristote aux neurosciences

 

Le gros ouvrage de Francis Wolff, passe en revue les quatre paradigmes (4 "manières d’être homme", dit-il) : le zoon logikon d’Aristote, le paradigme de Descartes, le sujet assujetti des structuralistes et l’homo animalis des cognitivistes. Il montre que “ces 4 figures appartiennent à une même configuration, simplement définie par la combinaison des deux réponses possibles à la question de l’essence de l’homme et à celle de son unité” (p165). Chacune a prétention à la Science, qu’elle porte sur la nature ou sur l’homme. La force de cette thèse est dans la démonstration que “ce système épuise le jeu des figures épistémologiques possibles de l’homme”.

La critique est originale et les présupposés comme les conséquences épistémologiques analysés d'un point de vue olympien (perspectiviste) singulièrement séduisant et parfaitement "humaniste" au demeurant. Wolff montre qu'il ne suffit pas d'invoquer l'Epistémologie sur ces questions pour savoir s'en servir utilement et la (re)pousser dans ses conséquences extrêmes ; et qu'il faut se méfier des ideologies prétendant s'appuyer sur la Science (ou prétendant, comme ici définir les "sciences humaines" en croisant une vision antisubjectiviste de l'humanité avec une position antinaturaliste : culturaliste, historiciste, constructionniste). Le danger est que, croyant vraiment "scientifique" l'idée que l'homme structural n'est qu'un "sujet assujetti" (en tout cas un être construit de part en part par la Culture, l'Histoire, la Langue, le Symbolique, etc.), on en vienne à sous-entendre ou à penser qu'il serait bien de le reconstruire "sur le modèle de ce qu'il aurait du être" (p293).

A lire absolument, pour sortir enfin des mannicheismes Roudinesquiens et de la "Pensée 68", qu'elle se dise "assujettie" ou "structuraliste" ; et contenir ou mettre en garde le mouvement cognitiviste. "Une belle réflexion sur la manière dont l'Occident a défini l'humanité depuis la Grèce antique" dit Roger-Pol Droit dans le Monde et, citant l'auteur : "...il ne s'agit pas de faire de l'histoire des idées. Il s'agit de s'interroger sur notre humanité". Il sort un livre de cette importance tous les 10 ou 15 ans, pas plus.  

                                                                          RMP

philosophe, discret dit-on (tous ne le sont pas, on le sait) professeur à l'ENS à Paris. Auteur de Socrate (2000), Dire le monde (2004), Philosophie de la corrida (2007), etc..