La philosophie dans l'essai de Georges Lantéri-Laura

 

S. Chébili (Paris)

Ce texte met en forme des réflexions qui s'étaient exprimées lors de la table ronde organisée à propos de la publication du livre de Lanteri-Laura : Essai sur les paradigmes de la psychiatrie moderne. Rappelons que l'œuvre philosophique de Lanteri-Laura est aussi importante que ses travaux psychiatriques. Aussi, il est impossible de l'appréhender dans le détail. Notre ambition reste beaucoup plus modeste dans la mesure où nous concentrerons notre propos sur son dernier ouvrage.

 

I &endash; L'épistémologie dans l'Essai

Notre confrère se réfère à une démarche épistémologique de deux manières. Tout d'abord en sortant de la doxa (l'opinion), en établissant une rupture avec l'immédiat. La problématique qu'il fallait résoudre tenait dans la démarche qu'il convenait d'adopter pour analyser les faits. Ensuite, la catégorisation, la sumbsumption sous un concept, apparaissaient comme une tentative non moins redoutable. Lanteri-Laura se plaçait dès lors dans le sillage de Bachelard pour lequel "l'esprit scientifique doit se former contre la nature, contre ce qui est, en nous et hors de nous, l'impulsion de la nature, contre l'entraînement naturel, contre le fait coloré et divers. L'esprit scientifique doit se former en se réformant" . Le réel du sens commun n'est autre que l'ensemble des impressions que produit sur notre sensibilité le monde extérieur ; à cela il faut ajouter les pièges de la langue qui charrie toute une vision du monde issue des traditions culturelles dont elle est le principal véhicule. C'est du reste pour cette raison que la "cité scientifique" a institué un langage propre qui s'applique aux objets construits à l'intérieur et au moyen des modèles théoriques. Bachelard évoque le cas où le langage scientifique emprunte un terme à la langue naturelle :"Dès qu'un mot de l'ancienne langue est mis, par la pensée scientifique, entre guillemets, il est le signe d'un changement de méthode de connaissance touchant un nouveau domaine de l'expérience. nous pouvons bien dire que du point de vue de l'épistémologue, il est le signe d'une rupture, d'une discontinuité de sens, d'une réforme de savoir" .

 

Pourtant, au début du siècle, deux philosophes soutenaient la thèse de la continuité entre le sens commun et la connaissance scientifique : Alain et Meyerson. Ce dernier écrivait, du moins en se plaçant au niveau des mécanismes a priori et des principes (et non pas celui des découvertes ni des résultats) : "Nous n'apercevons pas, entre le sens commun et la science, la grande différence qu'on a voulu y voir parfois. Nous croyons à la lettre, comme M. Le Roy lui-même l'avait autrefois formulé, que la science correspond à la même attitude que le sens commun" . Certes, ce type de thèse apparaît désormais irrecevable. Cette opposition entre connaissance commune et connaissance scientifique devient encore plus manifeste lorsqu'on la considère dans sa dimension historique : elle est le saut qui sépare le tissu des représentations doxiques préexistantes et la scientificité qui s'instaure. En ce sens Bachelard écrivait : "L'histoire humaine peut bien, (…) dans tout ce qui relève de ses impulsions immédiates, être un éternel recommencement ; mais il y a des pensées qui ne recommencent pas ; ce sont les pensées qui ont été rectifiées, élargies, complétées. Elles ne retournent pas à leur aire restreinte et chancelante. Or, l'esprit scientifique est essentiellement une rectification du savoir" . A cela s'ajoute le fait que la science contemporaine a rompu avec le monde de l'intuition qui gardait encore une certaine pertinence dans la science classique. Les concepts d'espace, de temps, de matière, d'énergie, de particule n'ont plus d'attache dans le monde de l'expérience courante. Quant aux théories, aux principes et aux lois, ils passent par une mise en forme mathématico-logique où le sens de chaque énoncé dépend de la place et des relations qu'il assume au sein de la structure théorique formalisée. Dans la science contemporaine, la part de l'intuition va en diminuant (devenant même obsolète) au profit de la formalisation.

Toutefois, la connaissance scientifique est relative. Sa relativité n'est pas du tout une forme de subjectivisme en ce sens que la connaissance varierait d'un individu à l'autre. La relativité de la connaissance scientifique signifie deux choses :

- tout objet n'est connu qu'en fonction de son rapport à un sujet connaissant ;

- la connaissance se réduit à la recherche des rapports constants qui lient entre eux les phénomènes naturels.

Ainsi, l'objectivité scientifique ne signifie nullement que le scientifique s'efface totalement devant les objets afin d'en connaître la réalité absolue : cette conception totalement erronée est même contradictoire dans les termes. Bien au contraire, l'objectivité scientifique signifie, de nos jours, qu'un certain nombre d'énoncés théoriques formalisés et confirmés par l'ensemble des tests expérimentaux s'impose aux esprits compétents avec la même certitude. En définitive, l'objectivité est une notion qui se rapproche sinon de l'universalité, du moins de l'intersubjectivité. C'est pourquoi Bachelard a défini la connaissance scientifique comme "connaissance approchée", non point en visant sous cette expression un défaut d'exactitude, mais en faisant ressortir sa réalité historique : elle cerne de mieux en mieux l'objet de ses recherches bien que celui-ci change d'aspect et se complique à mesure que l'on en saisit de mieux en mieux les déterminations. La relativité de la connaissance scientifique ne nous plonge pas dans un scepticisme sans issue, au contraire, elle nous apprend à nous garder de tout dogmatisme qui consisterait à présenter l'état actuel des sciences comme la forme achevée du savoir.

Dans l'Essai, Lanteri-Laura, à l'instar de Kant accomplit une véritable révolution coperniciennes en rassemblant un matériel épars pour en construire une théorie, celle du paradigme. Pour arriver à un tel résultat, sa démarche reste conforme au précepte kantien : "nous ne connaissons a priori des choses que ce que nous y mettons nous-mêmes". C'est la raison, le travail intellectuel qui apport aux données, aux thèses des auteurs classiques, la forme qui lui confère son objectivité pour en faire une connaissance universelle et nécessaire. L'Essai applique le concept de paradigme forgé par T.S Kuhn en physique, à la psychiatrie. Aussi, Lanteri-laura individualise trois grands paradigmes : le paradigme de l'aliénation, de la maladie mentale et enfin celui des grandes structures psychopathologiques. Nous allons après avoir rappelé la définition du paradigme au sens de Kuhn, en montrer deux applications, l'une à l'astronomie et l'autre à la mécanique. Puis enfin nous essayerons de comparer le paradigme en physique et en psychiatrie. Pour Kuhn, le paradigme est "l'ensemble de convictions partagées par le groupe scientifique considéré à un moment donné de l'histoire ; convictions que le groupe défend contre toute menace et toute atteinte par le rejet de tout élément théorique hétérogène"

 

 

II &endash; La succession des paradigmes en physique

a) l'exemple de l'astronomie

Voyons tout d'abord la structure du cosmos aristotélicien. Pour l'astronomie et la cosmologie, seul le mouvement local ou translation nous intéresse. Pour ce qui est des choses naturelles, elles ont leur fin en elles&endash;mêmes. Les mouvements sont soit naturels, soit violents. Toutefois, on ne peut comprendre les mouvements de translation que par rapport à la structure totale de l'Univers. Il faut aller du tout à la partie, du global au local, selon les Anciens pour atteindre à une véritable intelligibilité des phénomènes naturels.

L'Univers se subdivise en monde sublunaire et monde supralunaire. Dans notre monde sublunaire les mouvements naturels de l'air et du feu tendent vers le haut, c'est à dire vers la périphérie (car il ne faut pas oublier que la Terre est sphérique pour Aristote qui donne d'ailleurs une preuve scientifique de sa sphéricité en s'appuyant sur les éclipses de la Lune). En revanche, les mouvements de l'eau et de la Terre tendent vers le bas, c'est-à-dire vers le centre de la terre (qui coïncide avec le centre de l'Univers : c'est le "géocentrisme" aristotélicien). Ce mouvement des "quatre éléments" (terre, eau, air, feu) dont notre monde sublunaire se compose est rectiligne. En outre, les corps célestes du monde supralunaire ne sauraient subir d'autre changement que selon le lieu, car les autres changements ne caractérisent que ce qui n'est pas éternel. Le mouvement qui convient à ces corps célestes ne peut être que continu, et infini par essence, d'où éternel; ce ne peut être que la translation circulaire ou "cyclophorie". Ce mouvement n'a ni commencement, ni milieu, ni fin : il échappe à l'alternance de la puissance et de l'acte. Il est ainsi une actualisation perpétuelle. Enfin, la substance de la sphère et des corps célestes du monde supralunaire doit être elle-même inaltérable et ne peut être distincte des quatre éléments (c'est-à-dire de ceux qui se meuvent en ligne droite vers le haut et le bas). Il faut un élément dont la nature serait de se mouvoir circulairement, c'est-à-dire un "cinquième élément" (la fameuse "quintessence" des médiévaux), qu'Aristote nomme par ailleurs l'éther. L'espace est donc qualifié, et en lui il y a des directions privilégiées, absolues et opposées, auxquelles sont soumis les corps selon la spécificité de leurs éléments constitutifs. La Terre doit être immobile, sinon : comment pourrait-on considérer la sphère des étoiles fixes en rotation sans rapporter cette rotation à un repère fixe et immobile ? Par suite, le cosmos aristotélicien est clos ou fini, polarisé, hiérarchisé, finalisé, unifié, et éternel.

1) Fini : Le cosmos ne peut être infini car l'infini est toujours en puissance, alors que le cosmos existe en acte. En outre, finité est synonyme de perfection et d'achèvement dans l'Antiquité à l'instar de l'œuvre d'art : c'est le lot de ce qui est éternel.

2) Polarisé : Car l'espace contient des lieux privilégiés introduisant des distinctions qualitatives en fonction desquelles les réalités hétérogènes sont séparées les unes des autres (haut/bas). La plus importante de ces distinctions sur le plan cosmologique est celle du monde sublunaire et du monde supralunaire.

3) Hiérarchisé : Le cosmos est une hiérarchie de formes et de matières. Au sommet de cette hiérarchie, il y a la "forme pure" ou "acte pur" du premier moteur immobile : Dieu. Cette forme suprême est en même temps le désirable suprême, objet du désir de tous les êtres.

4) Finalisé (perfection intentionnelle et finité) : La cause finale est le principe suprême d'intelligibilité issu d'un schème artificialiste (fabrication artisanale) et organiciste (organe/fonction) ; et c'est aussi un principe dynamique analogue au désir.

5) Un et unique : Le cosmos a une unité en ce sens que toutes les différentes choses sont subordonnées à une seule fin. En outre, l'idée de la pluralité des mondes conduit, selon Aristote, à celle d'infinité dont l'impossibilité a été démontrée. S'il existe des matières différentes, elles sont, comme les cieux différents, ordonnées sous une forme unique. Le pluralisme rend absurde la question du centre unique de l'Univers, seul compatible pourtant avec l'immobilité de la Terre.

6) Eternel : La non-corruptibilité du monde découle de sa non-générabilité (car le "cinquième élément" n'a pas de contraire en lequel il aurait pu se changer). Aussi, il y a éternité des mouvements circulaires des corps célestes (car dans le cercle il n'y a ni commencement ni fin). Point de virtualité dans le monde supralunaire car il est en acte.

Ptolémée (90-168) pour sa part a rassemblé la totalité des connaissances astronomiques grecques. Toutefois, il a élaboré un système très complexe d'épicycles, d'excentriques et d'équants pour reproduire l'irrégularité apparente des astres errants tout en conservant le dogme absolu du mouvement circulaire uniforme. Tout ce système complexe convenait bien sur le plan géométrique et pratique ; mais, comme il était centré sur un point abstrait que rien n'occupe physiquement, il contrevenait à la cosmologie aristotélicienne suivant laquelle les mouvements circulaires doivent s'effectuer autour d'un centre réel physique et immobile : la Terre. Ce divorce aboutit à une différence épistémologique fondamentale entre l'astronomie (technique opératoire artificielle mais efficace) où les systèmes, dès l'instant qu'ils sont performants, sont équivalents, et la cosmologie (étude de la véritable nature et structure de l'Univers). "Sauver les apparences", témoigne de la part de l'astronomie d'un désespoir de jamais atteindre la véritable constitution de l'Univers. Il faut renoncer à l'essence et s'en tenir aux phénomènes apparents. C'est l'indice d'une crise de la pensée condamnée à ne connaître que les artifices géométriques qu'elle projette sur une réalité inaccessible. Ce sera le sens de toute l'œuvre de Copernic que de chercher à reconstruire toute l'astronomie sur le "véritable" système du Monde. Toutefois, il lui faudra surmonter les principales objections que la pensée antique avait formulé à l'encontre de l'héliocentrisme.

La révolution copernicienne peut se réduire à deux points fondamentaux. D'une part, la destruction du Cosmos grec, et d'autre part, la géométrisation de l'espace physique qui cesse d'être un ensemble de lieux différenciés pour laisser place à l'espace euclidien (homogène, infini et identique à l'espace réel). Toutefois, l'adoption de l'héliocentrisme dans l'esprit de Copernic visait à respecter le dogme du mouvement circulaire des planètes. En effet, le paradoxe épistémologique de l'œuvre de Copernic consiste dans le fait qu'il s'était proposé de sauver d'anciens dogmes en faisant appel à une conception théorique qui a finit par lui faire perdre ce qu'il voulait sauver. Disons de façon synthétique quelles sont les conséquences du système copernicien pour la Renaissance et les débuts de l'âge classique. 1 &endash; L'écroulement de l'anthropocentrisme (l'homme n'est plus au centre du Monde). 2 &endash; Il planétarise la terre, ce qui ruine la distinction aristotélicienne entre le sublunaire et le supralunaire. 3 &endash; La terre a le même mouvement que les astres en vertu de sa forme sphérique ce qui entraîne que les mêmes lois des mouvements s'appliquent aux astres et à la Terre. 4 &endash; Enfin le monde de Copernic est clos, fini, car il s'arrête à la sphère des étoiles fixes.

La suite de l'histoire de l'astronomie montre que Giordano Bruno détruit les restes d'aristotélisme du système de Copernic en infinitisant l'Univers divin. Képler, pour sa part, remet en cause deux dogmes. Celui de la circularité des orbites planétaires qui fait alors s'effondrer le dogme platonicien des mouvements circulaires et uniformes. Et celui de l'incorruptibilité du ciel. De plus, l'amélioration des techniques d'observation permet d'apercevoir des novae "étoiles nouvelles". Enfin, avec Newton (1642-1727) on assiste à l'aboutissement de la révolution copernicienne. Le système newtonien sera dès lors le modèle épistémologique dominant, c'est-à-dire le nouveau paradigme. Pour Newton le temps et l'espace sont absolus. L'absoluité de l'espace, lieu de tous les phénomènes de la nature, signifie que les propriétés métriques et physiques de l'espace sont indépendantes des phénomènes qui s'y produisent. De même, le temps absolu est sans commencement, ni fin, continu, homogène et coule uniformément. Newton n'est pas le premier qui eut l'idée de l'existence d'une force capable de retenir une planète sur son orbite, mais il est le premier à avoir réussi à mesurer et à mathématiser correctement cette force de gravitation tout en la soumettant aux données de l'expérience. L'intuition géniale de Newton a consisté à avoir démontré que, dans le mouvement des planètes et dans le mouvement de chute des corps, la même force intervient selon les mêmes lois. Ainsi, l'universalité du mécanisme de l'attraction l'autorise à unifier la mécanique terrestre et la mécanique céleste dans un système axiomatisé qui est une véritable théorie physique.

Nous constatons que le paradigme d'Aristote a duré presque deux millénaires et que son changement s'est fait par touches successives, provoquées à chaque fois par une contradiction entre les données de l'expérience et la théorie. Peut-on dire, toutefois, que le modèle de Newton avec le caractère heuristique de la loi de l'attraction universelle, a été admis par tous ? En d'autres termes y-a-t-il eu résistances contre ce paradigme ? A notre sens deux oppositions se firent jour. Celle des cartésiens, pour lesquels l'attraction à distance des planètes est inintelligible car pour eux, la seule causalité admise était le choc ou intervient directement le contact entre la chose qui choque et celle qui est choquée. Newton, conscient de cette difficulté épistémologique de cette action à distance en attribuait la cause à la toute puissance de Dieu. Une autre difficulté du système de Newton, tient au fait que les différentes planètes et leurs satellites se perturbent mutuellement dans le système solaire. Or, si la vitesse orbitale de ces différents corps célestes diminue sous l'action des perturbations, elle risque d'être inférieure à la force d'attraction des planètes entre elles. La conséquence en sera le risque de voir tout le système planétaire s'effondrer sur le soleil. En autres termes Newton se montre incapable de démontrer la stabilité du système solaire. Aussi, Newton jugeait indispensable que Dieu remette de temps en temps de l'ordre dans l'univers. Nous constatons que ces critiques sont insuffisantes par elles-mêmes à mettre en crise le paradigme newtonien. Aussi, sa physique triomphe dans toute l'Europe savante du XVIIIème siècle. Avant d'entrer en crise, la science de Newton a connu un succès important, en permettant par le calcul, la découverte d'une nouvelle planète. En effet, on s'aperçut que la planète Uranus ne suivait pas la trajectoire prévue par le calcul newtonien. Les mathématiciens avaient alors le choix épistémologique ou de déclarer la mécanique de Newton, inadéquate ou de faire l'hypothèse qu'Uranus était perturbée dans sa révolution par une autre planète. Dès lors que l'on adoptait cette deuxième solution, il devenait possible, en faisant usage des lois de Newton, de connaître la masse, la vitesse, la distance et la position de cette planète perturbatrice. C'est ce que fit le mathématicien Le Verrier qui découvrit, par le calcul, la "troublante" dénommée ensuite Vénus. Mais lorsque Le Verrier tenta d'utiliser la même démarche à propos de la planète Mercure, pour laquelle les positions observées étaient différentes de celles obtenues par le calcul, il aboutit à un échec, car la planète perturbatrice dénommée par avance Vulcain, n'existait pas. En effet, la modification de la trajectoire de Mercure n'était pas du à une "troublante", mais à un effet relativiste explicable seulement par la théorie d'Einstein. Le problème nécessitait pour être résolu la refonte des fondements de la mécanique classique. Cette difficulté à elle seule ne pouvait entraîner l'abandon de la théorie de Newton. Mais ajoutée à d'autres faits, nous constatons que nous arrivons, pour reprendre les termes de Kuhn, à la fin de la période de la science normale du paradigme newtonien. Une période de crise s'ouvre alors dont la résolution ne sera possible qu'après deux révolutions : la révolution relativiste et la révolution quantique.

 

b) l'exemple de la mécanique

La crise de la mécanique de Newton va pouvoir être mise en évidence par deux ordres de faits. Tout d'abord quand il sera noté une contradiction entre les données de l'électromagnétisme et celle de la mécanique. Cette dernière se trouve dans l'impossibilité de mesurer un mouvement de translation rectiligne et uniforme. Dès lors, pour la mécanique de Newton il est impossible de savoir qui de la Terre ou du Soleil effectue une révolution annuelle autour de l'autre, car les translations ne sont pas observables. En revanche, selon l'électromagnétisme la vitesse de la lumière dans le vide est conçue comme une constante universelle mesurable indépendamment de la source lumineuse et de l'observateur. De plus, le mouvement de la lumière est un mouvement de translation rectiligne et uniforme dans le vide. Donc, il y a contradiction avec les données du paradigme newtonien. Enfin, quant au cours de l'expérience de Michelson-Morlay on tenta de mesurer, grâce à un dispositif optique, la vitesse absolue de la Terre qui pourrait ainsi devenir observable, on aboutit à un échec. Nous assistons donc à la fin du paradigme de Newton et à la mise en place de celui de Einstein, de la relativité restreinte (1905). Pour ce dernier les concepts fondamentaux du paradigme précédent, d'absolus qu'ils étaient deviennent relatifs. On constatera une relativité de la simultanéité car deux événements, qui sont simultanés pour un observateur ne le sont plus pour un autre. Relativité de la distance et du temps (si la lumière se déplace à la vitesse de 300.000 km à la seconde et si la distance est relative aux observateurs, alors la seconde sera relative aussi) comme l'exemplifie bien le paradoxe des jumeaux ou des voyageurs de Paul Langevin. "Il suffirait pour cela que notre voyageur consente à s'enfermer dans un projectile que la terre lancerait avec une vitesse suffisamment voisine de celle de la lumière, quoique inférieure, ce qui est physiquement possible, (pendant une durée propre au voyageur de deux années). (…). Revenu à la Terre, ayant vieilli de deux ans, il sortira de son arche et trouvera notre globe vieilli de deux cents ans si sa vitesse est restée dans l'intervalle inférieure d'un vingt millième seulement à la vitesse de la lumière. Les faits expérimentaux les plus sûrement établis de la physique nous permettent d'affirmer qu'il en serait bien ainsi" . Cette théorie de la relativité restreinte n'expliquait que les mouvements rectilignes uniformes. Aussi Einstein dut-il la généraliser (1916) pour élaborer une théorie relativiste de la gravitation. Nous n'entrerons par les détails mais nous dirons que Einstein, par la relativité générale, réunit à expliquer l'avance, par rapport aux prévisions par le calcul, de la planète Mercure. On se souvient que Le Verrier avait attribué cet effet à l'existence d'une autre planète. La relativité générale explique cette avance par une déformation de l'espace-temps due à l'énorme masse du soleil. L'épistémologie contemporaine, dont la richesse est due au bon prodigieux de l'histoire des sciences, nous appelle à renoncer à l'idée d'une raison immuable et universelle, ainsi que le disait très justement Bachelard : "L'esprit a une structure variable dès l'instant où la connaissance a une histoire" . La conséquence en sera une rationalité propre à chaque ontologie régionale.

 

c/ Comparaison du paradigme en physique et en psychiatrie

En physique, et en sciences en général, les paradigmes restent valides pendant une très longue période de temps. Rappelons que le paradigme aristotélicien a duré presque deux millénaires. En psychiatrie, les périodes sont beaucoup plus courtes puisque selon Lanteri-Laura depuis la fin du XVIIIème siècle nous avons déjà la succession de trois paradigmes.

En psychiatrie le dernier paradigme, celui des grandes structures psychopathologiques traverse une crise et pour l'instant aucun autre ne vient s'y substituer. En physique le paradigme einsteinien de la relativité généralisée garde tout son sens, bien que la théorie ait évolué, puisque deux concepts sont valables au sein de ce même paradigme : la nature ondulatoire et la nature corpusculaire de la lumière. En psychiatrie un paradigme, même dépassé, est parfois encore utilisé par certains auteurs. L'exemple que cite Lanteri-Laura est celui de l'utilisation du concept d'aliénation mentale par Laing, alors que l'on se trouve dans le champ du troisième paradigme. Kuhn s'appose nettement à la conception continuiste du progrès de la connaissance scientifique qui réduit celui-ci à n'être qu'une accumulation linéaire. En ce sens, il s'attaque à la conception positiviste du développement de la science, et se joint aux anti-positivistes que sont Paul Feyerabend et Stephen Toulmin.

Selon Kuhn, les épistémologues contemporains ont eu le tort de s'intéresser exclusivement aux moments les plus spectaculaires de l'histoire des sciences, c'est-à-dire aux crises ou aux révolutions scientifiques. Cela les détourne de ce qu'est l'activité courante des scientifiques : celle-ci consiste à mettre en œuvre les théories qui sont en vigueur pour en développer les applications sur tel ou tel point particulier. Cette activité-là, Kuhn l'appelle : science normale par opposition à la science des périodes de crise ou de révolution. Elle est l'ensemble des convictions reconnues par les scientifiques. Cet ensemble de découverte et de convictions reconnues par le groupe scientifique en tant qu'il fournit des problèmes et des modèles de solutions pendant un certain temps, Kuhn l'appelle : paradigme et le justifie ainsi : "En le choisissant, je veux suggérer que certains exemples de travail scientifique réel reconnus fournissent des modèles qui donnent naissance à des traditions particulières et cohérentes de recherche scientifique" . Toutefois, Kuhn assouplit sa position pour ce qui est de la relative flexibilité des paradigmes et admet volontiers qu'ils sont rectifiables, en fonction des compléments d'information : "C'est un objet qui se prête aux reformulations et aux spécifications en fonction des conditions nouvelles ou plus strictes" . Tout le problème consiste à savoir comment se constituent les paradigmes et Kuhn formule une réponse d'allure idéaliste en disant que c'est la décision du groupe qui choisit telle théorie comme paradigme : "L'étude historique du changement de paradigme révèle des caractéristiques tout à fait semblables à celles d'un changement d'institutions politiques" . Les objections de Paul Feyerabend font valoir qu'on ne distingue plus chez Kuhn entre groupe scientifique et association de malfaiteurs, ou même entre science et religion. Kuhn hésite entre une réponse de type volontariste (volonté du groupe), et une réponse d'allure gestaltiste (le paradigme s'impose à la vue du groupe). En ce sens, le problème de la constitution du paradigme reste indéterminé. Quant à la période dite de révolution, elle apparaît au cours du processus de développement du paradigme qui ne peut intégrer des résultats expérimentaux ou de nouveaux faits. Quand les secousses de l'ancien paradigme deviennent trop violentes, la science entre en crise : "Lorsqu'ils sont confrontés à une anomalie ou à une crise, les savants changent d'attitude à l'égard des paradigmes existants et la nature de leur recherche change en même temps. La prolifération de formules rivales, le désir éventuel d'essayer n'importe quoi, l'expression explicite d'insatisfaction, le recours à la philosophie et le débat dirigé vers les fondements sont autant de symptômes de la transition de la recherche normale à la recherche extraordinaire ; (…). Les révolutions scientifiques commencent par le sentiment grandissant (…) qu'un paradigme existant ne fonctionne plus de manière adéquate pour explorer tel aspect de la nature à l'égard duquel ce même paradigme s'était montré particulièrement efficace"

En fait, le résultat de ces crises est souvent l'acceptation d'un nouveau paradigme : "En particulier, il a été indiqué que les révolutions scientifiques sont ici considérées comme des épisodes non cumulatifs de développement, dans lesquels un paradigme plus ancien est remplacé, en totalité ou en partie, par un nouveau paradigme incompatible"

Tout le problème de la conception kuhnienne de l'histoire des sciences repose sur le statut de paradigme et non sur celui des crises et des révolutions. Comme le signale Kuhn lui-même dans sa postface : Mrs Margaret Masterman a relevé, dans son article "The nature of a paradigm", 22 acceptations différentes du terme de paradigme dans l'ouvrage que nous avons précédemment cité. La définition du paradigme est donc trop large et laisse passer de nombreux éléments extra-scientifiques. En revanche, le recours à une définition très stricte et précise du paradigme risque d'exclure précisément du champ de la science des modèles théoriques qui ont pourtant fait leurs preuves en leur temps. La conception du paradigme chez Lanteri-Laura, beaucoup plus rigoureuse, prête moins le flanc à de telles critiques. La date fixée pour le début des paradigmes nous paraît poser question chez Lanteri-Laura. Dans Psychiatrie et connaissance il justifie le choix des dernières décennies du XVIIIéme siècle pour origine de la psychiatrie moderne ainsi : "il s'agit d'une part, d'un intérêt nouveau pour les soins aux aliénés, d'autre part d'une mutation politique et institutionnelle qui ne se borne pas aux effets directs de la Révolution française et enfin, d'un changement notable dans la connaissance médicale" . A la lecture de ces lignes on supposera légitimement en avant la fin du XVIIIème siècle il n'existe pas de paradigme en psychiatrie. Or, dans l'Essai sur les paradigmes de la psychiatrie moderne, Lanteri-Laura reprend les raisons énoncées ci-dessus mais énonce que : "faute de savoir réellement employer une érudition véritable, ne connaissant du grec et du latin que le latin et le grec classiques, et ignorant l'hébreu et l'arabe, nous ne pouvons situer notre début ni dans l'Antiquité, ni dans le Moyen Age, ni même à la Renaissance, malgré l'intérêt indiscutable de ces périodes. Dans la pratique, nous ferons commencer nos investigations entre la fin du siècle des lumières et les débuts du XIXème siècle" . Dans cet ouvrage Lanteri-Laura n'élimine plus la possibilité de l'existence d'un paradigme antérieurement au XVIIIème siècle. Comment ne pas évoquer cette possibilité lorsque l'on pense à ce que l'on a dénommé le "miracle grec". Les présocratiques par leurs recherches du principe renonçaient au mythe merveilleux explicatif des énigmes de l'Univers. En effet, rappelons brièvement qu'Hésiode cherchait à décrire la genèse de l'Univers, tandis que les philosophes tenteront de saisir le principe explicatif du devenir. Comme le remarque Jean-Pierre Vernant "la naissance de la philosophie apparaît donc solidaire de deux grandes transformations mentales : une pensée positive excluant toute forme de surnaturel et rejetant l'assimilation implicite établie par le mythe entre phénomènes physiques et agents divins ; une pensée abstraite, dépouillant la réalité de cette puissance de changement que lui prêtait le mythe et récusant l'antique image de l'union des opposés au profit d'une formulation catégorique du principe d'identité" . Cette transformation mentale n'aurait-elle pu créer un paradigme en psychiatrie, alors qu'elle a permis l'essor de la pensée d'Aristote et de son modèle cosmologique valide pendant près de deux mille ans !

 

 

III &endash; L'influence de Michel Foucault

"Pour moi, je préfère opter pour cette interprétation ou, si l'on veut, ce modèle théorique, laissant à M. Foucault et à ses épigones conscients ou inconscients de leur psychiatricide (qui est même un génocide à l'égard du système de valeurs de l'humanité), le triste privilège de penser que la démence vaut la raison, que le rêve vaut l'existence, que l'erreur vaut la vérité, que l'aliénation vaut la liberté" . Ainsi s'exprimait Henri Ey aux journées de l'Evolution psychiatrique de Toulouse en 1969. Jugement sans appel concernant la thèse de doctorat de Foucault sur l'Histoire de la folie à l'âge classique. A partir de cette condamnation virulente fallait-il pour autant rejeter complètement la démarche foucaldienne. Lanteri-Laura, à notre sens, s'en inspire implicitement, même s'il ne cite pas le nom de Foucault dans l'Essai. Nous pouvons saisir l'influence de Foucault dans la démarche épistémologique de Lanteri-Laura, dans la périodisation de l'histoire qu'il dénommait épistémè.

Michel Foucault s'est proposé de prendre le discontinu, le multiple et la dispersion au sérieux en faisant subir à l'histoire du savoir une mutation dans ses méthodes et ses perspectives. Foucault se réclame de Bachelard, Canguilhem, pour ce qui est des discontinuités. Surtout, il subdivise ses objets en strates superposées ayant leur dispersion propre. Toutefois, le terme d'archéologie ne doit pas égarer en laissant entendre la recherche de quelque originaire où viendrait s'enraciner une tradition continue : "L'archéologie : une analyse comparative qui n'est pas destinée à réduire la diversité des discours et à dessiner l'unité qui doit la totaliser, mais qui est destinée à répartir leur diversité dans des figures différentes. La comparaison archéologique n'a pas un effet unificateur, mais multiplicateur" . L' "archéologie" s'oppose à l'anthropologie, refusant de prendre en considération le sujet individuel ou collectif, psychologique ou transcendantal. Foucault s'oppose même radicalement à l'idée de vision ou conception du Monde ,Weltanschauung, supposée par Dilthey, commune aux individus d'une époque déterminée. Selon W. Dilthey (1833-1911), la Weltanschauung est un point de vue unitaire, une synthèse d'éléments philosophiques, juridiques, religieux, scientifiques, esthétiques, moraux et politiques, C'est le point de vue global d'une sorte de système qui se voudrait total, complet pour son époque. C'est une vision unifiante qui rassemble les éléments communs aux expressions d'une culture à une époque donnée. C'est une tentative pour saisir l'unité dans le multiple. La tâche de l' Archéologie foucaldienne est de : faire apparaître dans sa pureté l'espace où se déploient les événements discursifs. Ces formations discursives, Foucault les appelle : Epistémè, et il précise qu'elles n'ont rien à voir avec la Weltanschauung : "Par épistémè, on entend, en fait, l'ensemble des relations pouvant unir, à une époque donnée, les pratiques discursives qui donnent lieu à des figures épistémologiques, à des sciences, éventuellement à des systèmes formalisés" . L'épistémè est un espace de dispersion, non pas le style général des recherches d'une époque, mais l'écart, les distances, les différences, les oppositions de multiples discours scientifiques à une époque donnée. Enfin, l'épistémè n'est pas close comme une Weltanschauung, mais ouverte puisqu'elle est un champ indéfiniment descriptible de relations ayant une fonction transcendantale (et non un statut transcendantal). L'épistémé est le lieu multiple et ouvert à l'intérieur duquel des différents savoirs sont en rapport sans cependant être la monnaie d'un principe unique. La méthode foucaldienne permet de mieux définir les unités rencontrées : une science, une œuvre, une théorie, etc…. La causalité passe à l'arrière-plan, tandis que passent au premier plan les concepts qui permettent de penser la discontinuité (seuil, rupture, coupure, mutation transformation) des épistémaï successives, irréductibles les unes aux autres. Ainsi, une science peut contenir des énoncés de style différent bien qu'ils portent sur des objets semblables, ou des énoncés de style semblables mettant en œuvre des concepts différents.

Lanteri-Laura à l'instar de Foucault scande son essai par la succession de trois paradigmes. De même sa notion de paradigme n'est pas une Weltanschauung .

 

V - La filiation avec Georges Canguilhem .

Si pour Foucault nous avons parlé d'influence, plus ou moins implicite, pour Lantéri-Laura, nous devons, à propos de Canguilhem, plutôt évoquer une filiation. Lantéri-Laura a fait une dédicace explicite à Canguilhem dans son ouvrage, Clefs pour le cerveau .

Nous pensons que la conception de l'histoire des sciences chez Canguilhem a beaucoup influencé Lanteri-Laura. La périodisation, concept clé de l'Essai, rappelle ce que Canguilhem attribuait comme caractères à l'histoire des sciences ; " C'est au niveau des questions, des méthodes, des concepts que l'activité des sciences ne saurait être un filet latéral du cours général du temps. Le temps de l'avènement de la vérité scientifique, le temps de la vérification, a une liquidité ou une viscosité différentes pour des disciplines différentes aux mêmes périodes de l'histoire générale.(…). Ainsi l'histoire des sciences, histoire du rapport progressif de l'intelligence à la vérité, secrète elle-même son temps, et elle le fait différemment selon le moment du progrès à partir duquel elle se donne pour tâche de raviver, dans les discours théoriques antérieurs, ce que le langage du jour permet encore de comprendre" .

Lantéri-Laura spécifie pour la psychiatrie la périodisation qui lui est adéquate. En ce sens aussi il parle avec beaucoup de justesse d'épistémologie régionale. La mise en évidence des paradigmes par Lanteri-Laura, implique que l'histoire de la psychiatrie est envisagée dans sa spécificité propre. Canguilhem, influencé par Foucault, a réfléchi au concept d'idéologie scientifique, qui possède une très grande importance en épistémologie. "La séparation de l'idéologie et de la science doit empêcher de mettre en continuité dans une histoire des sciences quelques éléments d'une idéologie apparemment conservés et la construction scientifique qui a destitué l'idéologie ; par exemple, à chercher dans le Rêve de d'Alembert des anticipations de l'Origine des espèces. Mais l'entrelacement de l'idéologie et de la science doit empêcher de réduire l'histoire d'une science à la platitude d'un historique, c'est-à-dire d'un tableau sans ombre de relief" . Ces deux plans s'entrecroisent dans l'Essai.

Pour en finir avec l'histoire des sciences chez Canguilhem soulignons qu'il adresse deux critiques à la notion kuhnienne de paradigme. Tout d'abord que ce concept n'échappe pas à la tradition logico-empiriste. La deuxième critique est beaucoup plus sévère. "Le Paradigme c'est le résultat d'un choix d'usagers. Le normal c'est le commun, sur une période donnée, à une collectivité de spécialistes dans une institution universitaire ou académique. On croit avoir affaire à des concepts de critique philosophique, alors qu'on se trouve au niveau de la psychologie sociale" .

 

Au terme de l'Essai, Lanteri-Laura évoque une crise du troisième paradigme. Cette situation de notre discipline ne semble pas avoir échappé à l'œil particulièrement pénétrant de Canguilhem qui s'exprime ainsi, dans son célèbre article, qu'est-ce que la psychologie (1956). "C'est donc très vulgairement que la philosophie pose à la psychologie la question : dites-moi à quoi vous tendez, pour que je sache ce que vous êtes ? Mais la philosophie peut aussi s'adresser au psychologue sous la forme &endash; une fois n'est pas coutume &endash; d'un conseil d'orientation et dire : quand on sort de la Sorbonne par la rue Saint-Jacques, on peut monter ou descendre : si l'on va en montant, on se rapproche du Panthéon, qui est le conservatoire de quelques grands hommes, mais si l'on va en descendant, on se dirige sûrement vers la Préfecture de Police"

 

VI - Conclusion.

Notre revue de l'aspect philosophique de l'Essai est sûrement très incomplet. Il ne se voulait pas exhaustif tant il manque de signaler les références à la phénoménologie et au structuralisme Nous avons insisté sur la notion de paradigme au sens de Kuhn en développant l'histoire de l'astronomie et de la physique qui nous semblaient exemplaires de ce type d'approche.

L'extension par Lanteri-Laura, du concept de paradigme en psychiatrie ne pose pas de problèmes et se révèle tout au contraire profondément heuristique. L'épistémologie de Lanteri-Laura élaborée dans Psychiatrie et connaissance trouve son développement complet dans l'Essai sur les paradigmes de la psychiatrie moderne. Le premier ouvrage constituant, à bien des égards, un prolégomène ou second. En fermant ce dernier ouvrage nous avons l'impression de nous retrouver dans la situation que décrivait Canguilhem en 1956. Une certaine psychiatrie, surtout anglo-saxonne, malade de son excès de positivisme, ne se dirige-t-elle pas, avec certitude, vers la préfecture de police? L'intérêt de l'Essai réside dans la théorisation de la crise actuelle de notre discipline.

Puisse le prochain paradigme constituer un progrès pour la psychiatrie et surtout pour nos patients.